Les écritures plastique et stylistique de Valtat ne sont pas aisément qualifiables dans une stricte approche d’école ou de mouvement. Sa peinture reste assimilable à des tendances artistiques communes à celles des postimpressionnistes, à savoir des propensions néo-impressionnistes, symbolistes, nabis. Il peut même être considéré surtout comme un pré-fauve. Mais hors des écoles, des théories, son art est toujours empreint d’un grand sens de la décoration, plus que de la narration. Outre la peinture, Valtat a particulièrement multiplié les techniques graphiques, celles de la sculpture et des volumes, mais aussi du tissage de tapisseries.

Quel que soit le genre du tableau auquel Valtat s’adonne : portrait, nature-morte, scène de rue, paysage… il accorde une prépondérance au sujet, au motif principal qui prend le dessus sur le cadre et l’environnement. Cela est très net lorsqu’il peint des rochers, des arbres. Ceux-ci sont immédiatement haussés au rang de sujets privilégiés.

Son installation semi-annuelle à Anthéor pendant près de 15 ans, de l’automne au printemps, suite à son premier séjour à Agay lors de l’hiver 1898/1899, est une occasion déterminante pour orienter son écriture. Il ne s’embarrasse pas de dessin ni de perspectives exactes, il use d’une facture très libre. La profusion de la nature est traduite par une effervescence colorée ainsi que par de larges touches, épaisses et nerveuses. Il excelle dans les transpositions colorées de la végétation, de la nature, de la minéralité des massifs rocheux. L’Estérel se prête parfaitement au jeu du peintre qui hausse sa palette dans les jaunes, les rouges, trouvant dans les complémentaires bleu, violet du ciel, orangé de la roche, vert de la végétation, une expression de son exaltation en un tourbillon chromatique. Il porte une grande attention à l’aspect tectonique et tellurique des sites représentés qu’il décline, dans ce qu’on peut considérer comme des séries.

C’est le cas de ce grand tableau qu’il offre pour la création du premier musée de Saint-Tropez, le museon Tropelen, bien qu’il ne réside plus alors dans le Var. Cette scène, véritable maelstrom pictural, est une importante contribution de l’artiste, qui à l’instar d’autres peintres et à l’initiative de ses amis, Signac en tête, constituent le fonds de ce musée tropézien grâce à leur geste altruiste (35 œuvres ont ainsi été offertes entre 1922 et 1929, constituant un des tout premiers musées d’art contemporain en France).

La plupart des paysages de Valtat relèguent le ciel à une portion congrue. Le renoncement à une perspective géométrique, atmosphérique, se traduit d’autant mieux que la ligne d’horizon est placée très haut dans la majorité de ses compositions.

Sa peinture fait corps avec la matière comme si des fils colorés composaient une tapisserie où tout l’espace est occupé en un immense modèle décoratif au point même de fondre ses personnages au décor. Par sa manière d’exalter les rouge, bleu et vert on peut retenir le qualificatif qu’en avait donné Charles Chassé en 1963 dans son ouvrage Les Fauves et leur temps, considérant Valtat et Manguin comme : « fauves caressants ».

Mai 2022

Séverine BERGER
Conservateur en chef du patrimoine
Musée de l’Annonciade - 83990 Saint-Tropez